Bon mais ce n’est pas tout de critiquer, il faut aussi proposer autre chose.
Dans les premiers billets nous avons évoqué ce qui constituait, pour les économistes hétérodoxes, une des principales faiblesses du capitalisme (et plus globalement d’une économie monétaire de production) : son incapacité à générer, seul, une demande suffisante relativement à l’offre. Cette faiblesse se résout néanmoins fort bien, il suffit de mettre en place un système de régulation dans lequel les salaires croissent au rythme de la productivité et l’Etat accompagne la croissance en conduisant notamment des politiques permettant de maintenir le plein-emploi. Cela nécessite une réglementation sociale forte et en constante évolution ainsi qu’un Etat disposant d’une certaine marge de manœuvre (ce que lui ôte la mondialisation actuelle).
Ce système de régulation fut mis en place durant les 30 glorieuses, avec le succès qu’on lui connaît, nous en avons déjà parlé (cf. les deux articles sur les mystérieuses 30 glorieuses). Toutefois, si ce système de régulation a été abandonné à partir du milieu des années 70, c’est qu’il ne devait pas être parfait. Nous ne sommes pas passés de l’Etat providence à la mondialisation néolibérale à cause du cynisme ou de la vénalité de quelques-uns, mais bel et bien parce que le premier système semblait souffrir de lacunes qu’on espérait voir combler par le second !
Ces lacunes sont, à notre avis, la face visible de la seconde grande faiblesse du capitalisme : les mécanismes de création monétaire actuels. Cette seconde grande faiblesse n’est pas consubstantielle au capitalisme, mais a toujours existé depuis son avènement. Tout comme la première grande faiblesse évoquée plus haut, il est possible de la résoudre, relativement facilement, sans avoir à renverser le système.
Pour bien comprendre cette faiblesse, il faut que nous évoquions les mécanismes de création et destruction monétaire.
Dans une économie en croissance, dans laquelle le volume de richesses et le niveau des prix augmente (presque) chaque année, il est nécessaire qu’il y ait toujours plus d’argent pour permettre à l’ensemble des biens et services produits de s’échanger. Ainsi la quantité de monnaie en France augmente chaque année de plusieurs dizaines, voir centaines, de milliards d’euros. La grande question est alors de savoir comment apparaît ce nouvel argent ? Dans la manière dont le système s’est construit petit à petit, il a été choisi de ne laisser à personne le pouvoir de créer cet argent supplémentaire nécessaire, sans contrepartie. Le risque était bien sûr que les personnes concernées (particulièrement l’Etat) n’abusent pas de cette création monétaire.
C’est pour cette raison que le système suivant a été mis en place. Aujourd’hui seules les banques ont le droit de créer de l’argent à partir de rien, lorsqu’un client leur demande un crédit et qu’elles n’ont pas d’assez d’épargne à leur disposition, ce qui permet à la quantité de monnaie d’augmenter chaque année. Les milliers de milliards d’équivalent dollar ou euro qui apparaissent chaque année n’ont donc quasi-exclusivement d’une seule origine : la création de monnaie induite par l’octroi par les banques de crédits à des ménages, des entreprises ou des Etats. Mais cet argent, créé à partir de rien, n’est pas de l’argent que les banques s’offrent à elles-mêmes sans contrepartie, c’est un prêt que les banques se font à elles-mêmes et qu’elles devront se rembourser, en détruisant la totalité de l’argent créé.
(??)
Je m’explique : imaginez que vous demandiez un crédit de 1000 euros à votre banque et qu’elle n’ait plus aucun sous disponible sur ses comptes. Elle a le droit, c’est la loi et elle est la seule à pouvoir le faire, de créer ces 1000 euros à partir de rien. Il lui suffit de rajouter 1000 euros sur votre compte informatiquement et d’écrire sur son compte à elle qu’elle vient de créer 1000 euros à partir de rien. La quantité d’argent dans l’économie a donc augmenté de 1000 euros. Maintenant supposons que vous remboursez votre crédit, avec 100 euros d’intérêt, soit 1100 euros que vous donnez à votre banque. Que va-t-il se passer ? La banque va garder les 100 euros, qui serviront à payer ses employés, etc. et à accroître son profit, mais va par contre détruire les 1000 euros qu’elle vous avait prêté et créé à partir de rien. C’est la loi, elle est obligée et elle ne profite donc pas directement de l’argent qu’elle crée à partir de rien. Il ne lui reste alors plus qu’à écrire sur votre comptes que les 1000 euros qu’elle vous avait prêté ont été remboursés, et sur son compte à elle que les 1000 euros qu’elle avait créé à partir de rien ont également été remboursés et détruits.
L’argent ainsi créé ne l’a donc été que temporairement, entre le moment où le crédit a été émis et le moment où il a été remboursé. Et c’en est ainsi pour la quasi-totalité de la monnaie qui circule dans le monde : on dit que notre monnaie est temporaire. Et si la quantité de monnaie augmente chaque année dans le monde, c’est que chaque année les volumes de nouveaux crédits créateurs de monnaie émis par les banques sont supérieurs aux volumes de remboursements de crédits destructeurs de monnaie. Seconde conséquence de ces mécanismes de création monétaire, la monnaie n’augmente que lorsqu’un crédit est émis et donc que lorsque la dette de quelqu’un augmente. On comprend tout de suite le problème, plus il y a de monnaie plus il y a de dettes, c’est obligatoire ! On dit que notre monnaie est une monnaie d’endettement.
On comprend également tout l’intérêt d’un tel système : il évite tout risque de création monétaire abusive. En effet, les banques n’ont pas intérêt à créer trop d’argent à partir de rien en en prêtant à n’importe qui, puisqu’après elles devront se rembourser cet argent en le détruisant. Et si quelqu’un ne rembourse pas son crédit, elles devront alors puiser dans leurs profits pour rembourser et détruire l’argent manquant. De même pour les autres agents économiques et l’Etat, à chaque fois qu’ils auront besoin de plus d’argent qu’ils n’en reçoivent ils ne pourront pas le créer eux-mêmes mais devront se tourner vers une banque (ou des marchés financiers) et donc devront s’endetter. Ils auront donc intérêt à bien faire attention à la quantité d’argent qu’ils demandent, ou alors ils risquent de trop s’endetter et éprouveront des difficultés à rembourser leur dette et à se refaire prêter de l’argent.
Mais le côté pervers du système saute également aux yeux. Plus nous croissons, plus nous avons besoin d’argent et plus nous sommes endettés. Notre économie se peut se construire que sur une montagne de dettes, il n’y a pas d’autres choix puisqu’il n’y a pas d’autres moyens de créer de l’argent et que nous avons besoin chaque année de plus d’argent pour financer notre économie !
Ainsi, il circule en France actuellement plus de 1600 milliards d’euros. En négligeant le fait que nous devons de l’argent à l’étranger et que l’étranger nous doit de l’argent, cela veut dire qu’il doit y avoir au moins 1600 milliards d’euros de dette en France. Après cette dette se répartit entre les ménages, l’Etat et les entreprises (répartition qui varie selon les pays), ce qui explique que tout le monde, et notamment tous les Etats, soient très endettés ! Si les Etats n’étaient pas endettés, il y aurait moitié moins d’argent dans l’économie et ce serait une catastrophe, ou alors ce serait les ménages ou les entreprises qui seraient plus endettés, mais dans ce cas on ne voit pas en quoi ce serait plus ou moins grave !
Donc, tout ça pour dire que les mécanismes de création et destruction monétaire sont à l’origine d’un énorme problème dans nos économies : leur endettement généralisé, source d’une instabilité incroyable et facteur de déclenchement et d’aggravation des crises indéniables. Voici le second gros problème du capitalisme. Et voici pourquoi les 30 glorieuses, toutes glorieuses qu’elles aient été, n’ont pu constituées la phase achevée et heureuse du capitalisme. Elles se sont heurtées au mur de l’endettement nécessaire provoqué par la création monétaire, notamment en ce qui concerne les dettes des Etats. Et certains économistes, trop contents de voir ce système, qui fonctionnait si bien et qu’ils comprenaient si mal, battre de l’aile, se sont précipités pour proposer leurs remèdes, ce qui a aggravé le mal et nous a conduit à la mondialisation néolibérale actuelle.
Mais si nous modifions les mécanismes de création monétaire actuels pour passer d’une monnaie temporaire et d’endettement à une monnaie permanente (ce qu’un certain nombre d’économistes appellent de leur vœux, nous en reparlerons dans un prochain billet), c’est-à-dire une monnaie qui ne nécessite pas un endettement généralisé des économies pour exister, et que nous revenons à un système de régulation proche de celui des 30 glorieuses, alors, et j’en suis intimement convaincu, nous parviendrons à débarrasser le monde de la très grande majorité de ses problèmes économiques en un temps record, qui en surprendrait plus d’un.
Sachant que le progrès technique permet aux Hommes de produire en moyenne chaque année 3% de plus que l’année précédente, sans bosser plus, ni plus durement, la principale question de politique économique que l’on devrait alors se poser (et que l’on aurait du se poser il y a deux siècles si on avait pris les bonnes décisions au bon moment) deviendrait : que fait-on de ces 3% de gains de productivité annuels ? :
- Va-t-on consommer 3% de plus ? (Consommation au sens large, englobe les besoins matériels et immatériels, comme se faire soigner, pratiquer des loisirs ou partir en vacances par exemple)
- Va-t-on travailler 3% de moins ?
- Ou va-t-on faire un peu des 2 ?
Et nous quitterions (enfin) l’époque des catastrophes économiques et de ses horreurs pour nous tourner vers le « véritable et permanant » problème de notre existence, comme l’a dit Keynes, que faire de notre nouvelle « liberté arrachée aux contraintes économiques ? ».