Dans la série avec une bonne dose de mauvaise foi on peut faire dire aux chiffres ce que l’on veut, je vous propose ce puissant argument de Prescott pour corroborer sa théorie des cycles réels. La théorie des cycles réels, vous vous souvenez (on en avait parlé ici) c’est cette théorie qui explique les crises par des régressions technologiques soudaines et généralisées et qui avait été récompensée par le prix « Nobel » d’économie en 2004.
Je refais un bref résumé de cette théorie (mais pour plus de détails, mieux vaut relire le billet précité) :
- Pour les économistes néoclassiques, l’offre crée sa propre demande, donc toute chose produite parviendra à être vendue, donc les crises ne peuvent s’expliquer par une insuffisance de la demande, une surproduction.. S’il y a baisse de la production, cela doit venir nécessairement du côté offre de l’économie.
- Le problème est qu’on voit mal pourquoi l’offre, c’est-à-dire la capacité à produire d’une économie, se mettrait tout d’un coup à baisser.
- D’où l’idée qu’ont eu Kydland et Prescott au début des années 80 (personne n’avait osé avant) : il suffirait de supposer que l’économie est sujette à des larges et soudaines périodes de régressions technologiques. En effet, si toutes les machines se mettent à moins bien fonctionner parce que régression technologique il y a, les entreprises produiront moins, et l’économie sera donc considérée comme en crise.
- Oui mais au cours d’une crise il y a aussi un fort accroissement du chômage, comment l’expliquer ? Kydland et Prescott suggèrent que ce sont les salariés qui décident spontanément d’arrêter de travailler afin de maximiser leur bonheur inter-temporel (vu que leur salaire baisse pendant la crise, autant arrêter de travailler se disent-ils pour prendre du bon temps, puis retravailler un peu plus plus tard quand la crise sera finie et que les salaires auront raugmenté).
Comme vous le voyez dans cette explication, l’idée de régression technologique est centrale. Oui mais.. comment convaincre vos collègues très dubitatifs quant à votre théorie que ces périodes de régressions technologiques généralisées existent bel et bien ?
Voici comment s’y est pris Prescott. Il a calculé les variations de la productivité aux Etats-Unis (une baisse de la productivité étant assimilée à une régression technologique) et les a comparé à la variation du PIB américain. Le résultat est représenté dans le graphique ci-dessous (ce graphique est tiré d’un article de Mankiw, la théorie des cycles réels : une nouvelle approche keynésienne, très critique envers cette théorie des cycles réels. Le output growth signifie croissance de la production et le solow residual représente la variation de la productivité).
Or le résultat est éloquent : on constate bien une parfaite similitude entre les variations de la productivité et celles de la production.
Se pourrait-il donc que Kydland et Prescott aient raison, que les crises s’expliquent par une baisse soudaine de la productivité des entreprises ?
Non, et je suis sûr que vous avez tous trouvé le « truc ». Si je dispose d’un magasin avec 2 vendeuses et que je vends 1000 € de produits chaque mois, je dirais que chaque vendeuse me rapporte 500 € par mois, donc que la productivité mensuelle d’une vendeuse est de 500 €. Si maintenant un mois on ne m’achète plus que 800 € de produits, la nouvelle productivité mensuelle de mes vendeuses sera de 400 €. Aurais-je pour autant le droit de dire que la baisse de mes ventes s’explique par la baisse soudaine de la capacité à vendre de mes vendeuses ? Evidemment que non. Il y a eu tout simplement une baisse de la demande pour mes produits, qui fait que mes vendeuses ont moins vendu et tout cela se traduit effectivement par une baisse apparente de la productivité de mes vendeuses.
Si on constate en période de crise une baisse concomitante de la production et de la productivité, ce n’est pas comme le dit Prescott (mais y croît-il lui-même ?) parce que la baisse de la productivité a entraîné une baisse de la production, mais parce que la baisse de la production a entraîné une baisse apparente de la productivité, la capacité de production des entreprises n’étant alors plus utilisée à plein. Prescott s’est juste contenté avec la plus grande mauvaise foi possible d’inverser ici le sens des causalités.
Qu’un enfant de 7 ans, constatant que les personnes âgées ont des cheveux blancs, nous explique qu’il suffirait de se teindre les cheveux pour ne pas vieillir, ok ! Mais quand ça vient d’un économiste hyper célèbre à qui ses pairs ont décidé d’octroyer la récompense la plus prestigieuse de la discipline, ça fait quand même un peu léger..
En plus pour justifier une théorie aussi grotesque.
(et ce mec là il travaille à la Banque Centrale américaine..)