Un blog hétérodoxe sur les théories économiques.
Nous avons vu dans les précédents billets que les économistes néokeynésiens supposent dans leurs modèles que la monnaie est exogène, tandis que les postkeynésiens et les circuitistes la supposent endogène. Nous allons nous demander ici ce que cela peut bien changer..
Tout d’abord il faut bien voir que, contrairement aux apparences, le caractère endogène ou exogène de la monnaie ne change pas en théorie la capacité qu’à la banque centrale à réguler la quantité de monnaie dans l’économie.
Dans un cas, la banque centrale régule directement la quantité de monnaie dans l’économie, en fixant le montant qu’elle prête aux banques. Dans l’autre, elle la régule indirectement en fixant le prix auquel elle va prêter la monnaie aux banques, prix qui détermine en partie le coût du crédit et donc impacte sur la quantité de crédit émis, soit la quantité de monnaie en circulation.
Je dis en théorie, parce qu’en pratique il est toujours plus compliqué, moins précis, de réguler les choses indirectement que de les réguler directement. D’ailleurs la croissance de la masse monétaire dépasse toujours largement les objectifs de croissance de la banque centrale européenne. Pour reprendre une analogie utilisée dans un commentaire, les choses sont un peu les mêmes que si un Etat avait le choix entre deux politiques protectionnistes : fixer des quotas ou des taxes douanières. En théorie, l’Etat peut fixer des taxes douanières de manière à retrouver exactement les niveaux d’importations que permettaient les quotas. En pratique, ce sera un peu plus difficile parce qu’il ne sait jamais parfaitement à quel niveau d’importations correspond tel niveau de taxe douanière (mais il est toujours temps de corriger après coup).
Donc à mon avis la principale différence entre un modèle avec monnaie endogène et un modèle avec monnaie exogène ne tient pas dans la capacité de la banque centrale à réguler la masse monétaire.
Les choses varient en revanche pour l’inflation. Dans le cas d’une monnaie exogène, l’inflation ne peut provenir que d’un excès de monnaie injectée par la banque centrale dans l’économie. On pense à la célèbre phrase de Friedman (« l’inflation est partout et toujours un phénomène monétaire »). Dans le cas d’une monnaie endogène, les choses sont moins tranchées et en partie inversées. Si ce sont les agents économiques qui, en contractant des crédits, génèrent la masse monétaire, c’est alors l’augmentation des prix qui va déterminer l’augmentation de la masse monétaire. En effet si en moyenne, pour une raison ou pour une autre, les prix et les salaires augmentent dans une économie, alors la valeur des crédits demandés par les différents agents économiques augmentera également (les entreprises par exemple auront besoin de d’avantage d’argent pour payer les salaires de leurs employés, etc.), et donc la quantité de monnaie en circulation augmentera. Ce n’est plus la quantité de monnaie qui détermine les prix, ce sont les prix qui déterminent la quantité de monnaie.
De ce fait, et en partie pour faire face aux ultras de l’orthodoxie qui prétendent que l’inflation ne peut être que monétaire, certains postkeynésiens en viennent à penser que l’inflation ne peut jamais provenir d'un excès de monnaie, puisque ce sont les agents économiques qui déterminent leur besoin de monnaie en fonction du niveau des prix. Personnellement je pense qu’il y a à la fois une action des prix sur la quantité de monnaie et de la quantité de monnaie sur les prix. Si les prix augmentent, la valeur des crédits demandés sera plus importante et donc les crédits augmenteront. Mais si trop de crédits sont demandés, alors en accroissant trop fortement la demande pour un bien donné, ils peuvent faire croître son prix.
Ce serait le cas par exemple pour l’immobilier, le volume des crédits demandés a fortement augmenté parce que les prix ont fortement augmenté, et les prix augmentent parce que la demande, permise par le crédit, reste forte.
Une autre distinction porte sur les taux d’intérêts. Pour les uns, le taux d’intérêt résulte de la rencontre entre l’offre de monnaie de la banque centrale et la demande de crédits des agents économiques (il serait donc pour le coup endogène, ceux qui pensent que la création monétaire est exogène pensent que les taux d’intérêts sont endogènes). Pour les autres, le taux d’intérêt est déterminé par la banque centrale puis les banques, sans lien mécanique avec la demande de crédits (il serait donc exogène, ceux qui pensent que la création monétaire est endogène pensent que les taux d’intérêts sont exogènes).
Attention, je ne dis pas là non plus que pour les postkeynésiens la demande de crédits n’a pas d’effet sur le taux d’intérêt, je dis juste que l’effet n’est pas mécanique. Une hausse de la demande de crédits ne fera pas varier les taux d’intérêts suite à une supposée rencontre entre offre et demande de monnaie, mais pourra le faire parce qu’en accroissant la demande, cette hausse de la demande de crédits pourra élever le niveau des prix et inciter la banque centrale en réponse à augmenter ses taux d’intérêts.
Dans les faits, ça ne change pas grand-chose pourrait-on se dire, dans les deux cas une forte hausse de la demande de crédits, par exemple, devrait entraîner une hausse des taux d’intérêts et une hausse des prix.
En réalité ça change pas mal de choses. Nous verrons dans le prochain billet ce que ça peut changer en termes de politiques économiques, avec l’exemple de la désinflation Volcker. Puis, dans le billet encore suivant nous verrons qu’il y a une différence à mon avis beaucoup plus fondamentale que celles décrites ici, entre les partisans de la monnaie endogène et ceux de la monnaie exogène..
(En attendant.. suspense )