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8 décembre 2009 2 08 /12 /décembre /2009 16:25

Je souhaiterais dans cet article réagir au billet publié hier par Yannick Bourquin sur son blog. Un billet intitulé « Les brevets pharmaceutiques ne sauveront pas les pauvres de la maladie » dont voici le lien :

http://quedisentleseconomistes.blogspot.com/2009/12/les-brevets-pharmaceutiques-ne.html.

 

Mon but n’est pas de critiquer l'auteur de ce billet, ni le billet en soi (qui est bien écrit) et l’article en question (qui pose une question a priori pertinente) mais de revenir une nouvelle fois sur la grande responsabilité des économistes dans le (dis)fonctionnement du monde actuel

 

Qu’explique ce billet ?

 

D’une part que l’OMC (ex-GATT) a jugé bon en 1994 d’imposer « un niveau minimum de protection de la propriété intellectuelle à tous [ses] pays membres ». Pourquoi ? Parce que cela procure « une incitation à l'innovation qui peut s'avérer bénéfique dans le futur ».

 

Dit autrement, l’idée est la suivante : si on protège par un système plus complet de brevet les nouveaux médicaments que sortent des industries pharmaceutiques, elles pourront faire d’avantage de profits dessus et seront donc d’avantage incitées à investir dans la recherche de nouveaux médicaments.

 

Ce n’est pas là-dessus que je souhaite revenir.

 

Et d’autre part, qu’une étude réalisée 15 ans et quelques dizaines de millions de morts plus tard démontre, oh surprise !!!, que la mise en place de ces brevets n’a pas incité les industries pharmaceutiques à investir d’avantage dans la recherche contre des maladies qui touchent uniquement les pauvres ! Pourquoi ? Parce que même si elles ont de supers brevets qui durent super longtemps sur leurs médicaments, les entreprises pharmaceutiques ne pourront pas faire de profits dessus vu que de toute façon elles ne pourront pas vendre ces médicaments à des pauvres trop pauvres pour leur acheter ! C’est bien qu’on s’en aperçoive 15 ans plus tard, c’est dommage qu’on n’ait pas posé la question aux employés de l’OMC 15 ans plus tôt au lieu des experts en économie, car ils nous auraient donné la même réponse !

 

Voici le passage de cet article que cite Yannick Bourquin :

"Cependant, les brevets ne sont pas suffisants pour inciter à accroître la R&D pour les maladies qui ne constituent pas un marché important dans les pays riches. Si les individus affectés par ces maladies, ou leurs gouvernements, n'ont pas les moyens de payer des prix suffisamment plus élevés que le coût marginal de production du traitement, les firmes ne pourront pas amortir les coûts fixes de R&D, peu importe le niveau de protection fourni par les brevets."

 

Le drame, qu’il faut bien comprendre, c’est que l’OMC ne prend pas ses décisions de manière arbitraire, sur des coups de tête ou juste en fonction des intérêts des lobbies. Derrière chaque décision, il y a des dizaines de modèles, représentant des milliers d’heures de travail, qui cherchent à estimer quels vont être les effets d’une variation de 0,1% de telle ou telle réglementation. Et pour ces questions de brevets ce fut la même chose. Des économistes sont arrivés avec des modèles, des études économétriques, empiriques mettant en avant qu’une augmentation de tant d’années de la durée de vie des brevets ou de leur étendue géographique permettrait d’augmenter de tant de % l’effort de recherche contre les maladies affectant les pays riches, les pays pauvres, les deux, etc. Et au milieu de l’avalanche de chiffres, de résultats, toujours biaisés, qui devaient révéler qu’effectivement cela augmenterait l’effort de recherche sur les maladies qui touchent les pauvres, on n’a même pas pris la peine de se poser la question de savoir comment les pauvres feraient pour acheter ces médicaments (et les entreprises les vendre) une fois produits ! De toute façon, la demande est au mieux négligée dans la plupart des modèles économiques et économétriques. Sans de tels modèles, de telles justifications par la pointe de la recherche en économie, jamais l’OMC n’aurait pris la responsabilité d’une telle décision.

 

Et alors on a attendu benoîtement, pendant 15 ans, que l’effort de recherche des industries pharmaceutiques sur les maladies des pays pauvres s’accroisse, comme le prévoyait les modèles, pour se rendre compte avec stupéfaction que cela ne marchait pas. 15 ans et quelques dizaines de millions de morts de perdus, alors que d’autres voies auraient pu être explorées à la place de cette seule extension à l’ensemble des pays de l’OMC de la validité des brevets. Comme le dit Yannick Bourquin, avec la quiétude, la sérénité, la nonchalance propre aux économistes :

« Il va donc falloir trouver autre chose si on veut espérer délivrer le tiers-monde des maladies les plus mortelles. Ce type d'étude est primordiale comme le rappelle régulièrement William Easterly, pour éviter qu'on ne s'acharne pendant plusieurs décennies dans une impasse. »

 

Oui oui on va commencer à réfléchir à nouveau pour voir s’il est possible d’envisager ultérieurement d’autre pistes en vu de peut-être débuter une réflexion qui nous permettrait d’entrevoir comment résoudre cet épineux et complexe problème des maladies mortelles affectant des pays pauvres. Mais heureusement cette étude nous a déjà évités de perdre « plusieurs décennies », juste 15 ans. Pas un début d’once de reproches envers ses collègues, de regrets, RIEN, CA ME CONSTERNE !!!!!!!!!!!!!

 

Ah si les économistes avaient un brin d’imagination, un brin d’audace, un brin d’ambition (pas personnelle, pour l’Humanité), ils en trouveraient des idées pour soigner les « pauvres ». On pourrait décider de créer dans un panel de monnaie les quelques dizaines de milliards d’euros nécessaires chaque année à la recherche de nouveaux médicaments et à l’assistance des malades. Un panel de monnaie, comme ça les relations de change ne sont pas perturbées. Créer de l’argent, comme ça ça ne coûte rien à personne et évite d’attendre 10 ans pour commencer à récolter des fonds. Et quelques dizaines de milliards, c’est quoi ?, moins de 0,1% de la masse monétaire mondiale en circulation, pas de quoi perturber le fonctionnement du monde. Ou l’OMC et le FMI pourraient garantir aux industries pharmaceutiques le rachat d'une partie des nouveaux médicaments obtenus, avec une marge honnête, pour ensuite les distribuer dans les pays concernés. Comme ça elles pourraient les vendre, leurs médicaments ! Et si l’on s’inquiète du financement, eh bien que l’on demande également aux différents Etats des pays riches de créer ces quelques 0,1% d’argent nécessaire, s’ils n’ont pas envie de les payer avec leur dette. Cela ne perturbera en rien le fonctionnement de l’économie mondiale, au pire du pire, même si l’Europe seule, toujours bardée de bons sentiments, le faisait, cela ne pourrait que provoquer une petite baisse, de quelques %, de son taux de change (ce qui tomberait à pic en ce moment !).

 

Les économistes ont de la chance que dans la dilution des responsabilités, on accuse tantôt les gouvernements, les industries pharmaceutiques (qui certes ne sont pas toutes blanches), l’OMC, la mondialisation, l’Occident, l’essence de l’être humain, de tous nos maux, car sinon c’est eux qu’on enverrait directement se faire juger à La Haye !

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commentaires

Y
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Je vous remercie d'avoir cité mon billet. Je réagis ici à vos remarques.<br /> <br /> En ce qui concerne l'économie du développement de manière générale, beaucoup de choses ont été essayées pour sortir les pays de la misère : accroître l'investissement, accroître le niveau<br /> d'éducation, prêter des fonds, annuler la dette, libéraliser l'économie, etc etc...<br /> <br /> Il se trouve qu'à chaque fois, on pensait avoir trouvé le remède miracle et on s'est rendu compte (enfin, les économistes qui s'intéressent à ce domaine, les politiciens restant trop souvent dans<br /> l'ignorance) que ça ne marchait pas. (Cet argument n'est pas de moi, il est de William Easterly, ses deux derniers livres sont tout simplement géniaux).<br /> <br /> L'histoire tend à se répéter. Souvent, on se rend compte qu'on est incapable d'évaluer correctement les politiques publiques avant leur mise en oeuvre. En revanche, quand les politiques ne sont pas<br /> mises en oeuvre n'importe comment, on a souvent les moyens de dire quelques années après si ça a fonctionné ou non (c'est à ce moment là que beaucoup s'exclament "je l'avais dit que ça n'allait pas<br /> fonctionner" sauf qu'on entend jamais ceux dont les prédictions ne se sont pas réalisées).<br /> <br /> Je pense qu'en matière de politiques de développement (et de politiques publiques en général), il faut avoir en tête ces limites. Il vaut mieux, à mon sens, mettre davantage l'accent sur<br /> l'évaluation a posteriori des politiques publiques.<br /> <br /> Ce que je regrette aujourd'hui, c'est la trop fréquente absence de discussion autour des résultats des politiques passées. Certes, on a du mal à prédire quand une politique va fonctionner ou non,<br /> mais lorsqu'on sait qu'une politique ne marche pas, il faut l'interrompre immédiatement et en tirer les leçons.<br /> <br /> Néanmoins, l'étude que je commente affirme que l'extension de la durée des brevets a eu des effets positifs via les investissements accrus pour la recherche sur les maladies des pays riches même si<br /> elle n'a pas atteint son objectif initial.<br /> <br /> <br />
Répondre
E
<br /> Bonjour, je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il est bien d'évaluer a posteriori les politiques publiques et de discuter des politiques passées (c'est pourquoi d'ailleurs je dis dans le billet<br /> que l'article dont vous parlez pose une question pertinente).<br /> <br /> Mais difficile quand même de ne pas penser que les économistes n'ont pas été très finot sur ce coup là.. et qu'on aurait pu s'en douter avant..<br /> <br /> <br />