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15 novembre 2010 1 15 /11 /novembre /2010 10:25

 

Quelle que soit la théorie économique considérée, l'égalité semble quasiment incontournable :

épargne = investissement (soit en anglais : savings = investments, soit avec des symboles : S = I).

 

Pourtant derrière cette égalité se cache des conceptions extrêmement différentes. Nous allons étudier ici ce qu'en disent les néoclassiques, les keynésiens et les circuitistes. Puis nous nous demanderons, dans un autre billet, si cette égalité est vraiment nécessairement vérifiée..

 

I = S chez les néoclassiques

 

Chez les néoclassiques, I = S signifie que l'épargne permet l'investissement. Autrement dit, si vous épargnez 1 euro de plus de votre revenu et que cet euro est placé dans une banque, vous permettrez à cette banque de prêter 1 euro de plus aux entreprises et donc aux entreprises d'investir 1 euro de plus.

 

Depuis plus d'un siècle déjà, des économistes font remarquer que, les banques pouvant créer de la monnaie ex nihilo, il ne leur est pas nécessaire de disposer d'une épargne préalable pour prêter de l'argent, fait que (quasiment) tous les économistes reconnaissent aujourd'hui.

 

Néanmoins, ce fait n'est pas pris en considération par une majorité d'économistes dans leurs travaux, tout simplement parce que les fondements de ces travaux sont incompatibles avec l'idée d'un financement de l'investissement par création monétaire.

 

Pourquoi ?

 

Ces travaux considèrent une économie sans monnaie Or, pas de monnaie = pas de création monétaire, il y a donc dans ce cadre-là peu de risques de voir une entreprise financer ses investissements grâce à une prêt bancaire financé par création monétaire.

 

Ces travaux considèrent généralement une économie où le plein-emploi est la norme. Or dans une économie de plein-emploi si vous voulez investir d'avantage, il faut prélever des salariés produisant des biens de consommation pour leur faire produire des biens d'investissement, ce qui implique nécessairement une baisse de la consommation, c'est-à-dire une augmentation de l'épargne. Créer de l'argent pour financer des investissements dans une économie de plein-emploi ne servirait effectivement pas à grand chose.

 

Ces travaux considèrent une économie dans laquelle la demande n'a pas de réelle importance. Dès lors, le fait qu'une hausse de l'épargne implique nécessairement une baisse de la consommation (c'est-à-dire en toute logique, une baisse de ventes des entreprises, donc a priori un moins grand désir d'accroître leur capacité de production, donc leurs investissements) ne déprime pas du tout la situation économique. Donc une hausse de l'épargne peut entraîner sans souci un accroissement des investissements. Pas besoin de faire appel à la création monétaire, qui offre notamment la possibilité d'accroître les investissements sans déprimer la consommation et aide dès lors à mieux comprendre la dynamique des économies.

 

I = S chez les keynésiens

 

Pour les keynésiens, I = S signifie que c'est l'investissement qui génère l'épargne. Cette théorie s'appuie sur le fameux effet multiplicateur.

 

Elle dit la chose suivante : supposons qu'une entreprise demande un crédit I à une banque pour financer ses investissements. La banque, n'ayant pas de ressources disponibles, crée cet argent ex nihilo. Quel va être le trajet de cet argent ?

 

L'argent créé va de la banque à l'entreprise qui souhaite investir.

Puis l'entreprise en question investit, en achetant des machines. L'argent se retrouve donc dans les caisses de l'entreprise produisant ces machines.

Cette entreprise, en produisant, va payer des salaires, etc.. Les I investis à la base vont donc se retrouver dans les poches des salariés et actionnaires de l'entreprise produisant les machines.

Si on suppose que le taux d'épargne des ménages est de s (c'est-à-dire qu'ils épargnent s % de leurs revenus), alors les ménages concernés vont ici épargner pour s I de leurs revenus, et consommer pour (1 – s) I.

Ces (1 – s) I consommés vont se retrouver par définition dans les caisses d'autres entreprises, qui en produisant vont les verser à leurs salariés et actionnaires.

Ceux-ci vont donc toucher (1 – s) I. Comme ils épargnent aussi s % de leurs revenus, ils vont donc:

- consommer pour (1 – s) (1 – s) I

- épargner pour s (1 – s) I.

L'épargne totale générée par ces investissements est donc pour le moment de s I + s (1 – s) I.

Et si vous poursuivez ce raisonnement, vous vous apercevrez qu'au final tout l'argent investi aura permis d'accroître la production de I / s (soit, si s = 0,2 par exemple, le surplus de production engendré par le fait d'investir I aura été de 5 I, on retrouve l'effet multiplicateur) et aura engendré une épargne de I.

On retrouve bien par conséquent le résultat I = S, quelles que soient les sommes investies par les entreprises, et même si l'argent a été créé initialement par les banques à partir de rien.

 

I = S chez les circuitistes

 

Les circuitistes ne croient pas en la théorie du multiplicateur. C'est une de leur principal différence avec les postkeynésiens. Ils raisonnent dans le cadre d'une période, au sein de laquelle se déroulent les étapes suivantes :

- Les banques prêtent aux entreprises l'argent nécessaire à leurs dépenses de consommation et d'investissement (il y a différentes "variantes" de la théorie circuitiste, je présente celle qui me paraît la plus pertinente).

- Les entreprises produisent, paient des salaires et investissent.

- Les ménages consomment avec les salaires versés par les entreprises.

- Les entreprises constatent leurs profits (= consommation – salaires versés) et remboursent aux banques les crédits arrivés à échéance.

 

En raisonnant ainsi au sein de chaque période, les circuitistes ne peuvent pas retrouver le concept de multiplicateur, qui s'absout du concept de période, puisqu'il suppose des allers-retours incessant entre consommation des ménages et distribution des salaires par les entreprises, là où au sein d'une période on ne considère qu'un seul de ces allers-retours.

 

Pourtant I = S quand même chez les circuitistes, mais simplement pour des raisons.. comptables (ça va faire plaisir à Jean ;-). S prend alors plus le sens de dépôt bancaire que d'épargne.

 

En effet, en prêtant I, les banques augmentent d'autant les comptes bancaires des entreprises. Puis, lorsque les entreprises produisent (et donc paient des salaires), cet argent se retrouve sur les comptes des ménages, puis lorsque ces derniers consomment, il retourne sur le compte des entreprises. De sorte que, si on omet l'argent caché sous les matelas, une augmentation de I des investissements entraînera nécessairement une augmentation de I des dépôts bancaires.

 

 

Voici donc comment 3 théories très différentes arrivent par 3 chemins différents au même résultat. Mais à un résultat qui n'a pas du tout la même signification, en termes de politiques économiques préconisées. Et un résultat qui, à mon avis nous verrons ça, n'est pas systématiquement vrai.

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commentaires

S
Je ne comprends pas comment on arrive à l’égalité I=S. Avant de se poser la question de la causalité peut-on remettre en cause l’égalité ?<br /> La demande : est constituée de biens intermédiaires et de biens finaux, donc d’investissement et de consommation. On a bien D=I+C<br /> Le revenu :peut être consommé ou épargne mais également réinvesti : Dans ce cas on a plus y=S+C mais y=S+C+I. cela a deux conséquences :<br /> - La condition d’équilibre implique de Ye=D donc que I+C=S+C+I donc que S soit nul<br /> - I n est pas égale a S<br /> Partout on trouve écrit que I=S, mais si on écrit que le revenu peut être réinvesti cette Egalite n’est plus vérifiée.
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E
<br /> @Le-neoliberal-masque : "J'apprécie cette petite overview, mais, si vous le permettez, j'aimerai vous faire remarquer qu'une banque ne peut pas créer de la monnaie ex nihilo à 100% : les règles<br /> établies ( ou plutôt les recomendations ) du comité de Bâle construisent des contraintes de capital pour la banque."<br /> <br /> Oui, à ceci près que ce ne sont pas les fonds prudentiels qui sont crédités sur les comptes des usagers des établissements bancaires, puisque c'est de la monnaie purement scripturale, et de la<br /> monnaie qui est créée par la banque créditrice. A 100%, oui oui.<br /> <br /> Et attention à ne pas faire passer le comité de Bale pour une institution a vocation régulatrice, c'est tout à fait l'inverse. Ce comité n'a fait que baisser le ratio prudentiel minmal, jusqu'à 6%<br /> environ selon les derniers accords de Bale II. En gros, si je veux prêter 100 euros, il faut que j'en ai 6 dans la poche ( et pour revenir au sujet, si je décide de prêter, quelque soit la somme,<br /> je n'irai pas gratter dans ma poche pour ce faire ). Et on prévoit de faire baisser encore ce ratio avec le calendrier de Bale III, c'est assez flippant, c'est comme si 1929 n'avait insipré aucune<br /> leçon aux membres du comité de Bale.<br /> <br /> @RST :<br /> "Une idée comme ça en passant : pourquoi n’écririez vous pas un manuel d’économie hétérodoxe qui, sauf erreur de ma part, n’existe pas encore."<br /> <br /> Il existe une orthodoxie au sein de laquelle il existe un consensus sur beaucoup de principes piliers de différentes théories. Ceux qui rejettent ces hypothèses sont par conséquents appelés<br /> hétérodoxes. Mais si l'orthodoxie rassemble différentes "sensibilités" d'une même vision de l'économie, ce n'est pas le cas pour l'hétérodoxie.<br /> <br /> Par exemple, l'école autrichienne est hétérodoxe (pour plusieurs raisons, comme le fait qu'elle n'accorde aucune importance à des agrégats tels que le taux d'inflation ou la croissance).Cependant,<br /> elle part du principe, entre autres, que l'interventionnisme économique ne peut être que néfaste. Qu'est-ce que quelqu'un comme Ette Rodox partage avec ce genre de pensée ? Surement pas assez pour<br /> écrire un bouquin qui parle de ces théories. Je le sens capable de nous écrire un bouquin très subversif et cohérent, mais le titrer "manuel d'hétérodoxie" n'aurait en soi aucun sens, et laisserait<br /> présager un beau bordel quant à son contenu.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Attention, la consommation engendrée par le nouvel investissement n'est pas I/s mais I/s-I.<br /> I/s est l'accroissement de la production, qui est répartie entre l'investissement (I) et la consommation (I/s-I).<br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Oui vous avez raison, c'est qu'en général on englobe les deux, j'aurais dû écrire accroissement de la production au lieu d'accroissement de la consommation, je le change merci ! :)<br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> @ Ette Rodox<br /> <br /> Tu m'excuseras, j'avais oublié qu'on se tutoyait ;-)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> J'apprécie cette petite overview, mais, si vous le permettez, j'aimerai vous faire remarquer qu'une banque ne peut pas créer de la monnaie ex nihilo à 100% : les règles établies ( ou plutôt les<br /> recomendations ) du comité de Bâle construisent des contraintes de capital pour la banque. Pour prêter Y, il lui faut X, qui sera calculé comme ( Y x T ) avec T le taux établis. Je ne rentrerai pas<br /> dans le détail des ratios utilisés, car dans ce modèle, ils n'apporteraient rien, mais je pense qu'il faudrait injecter une petite chose : pour prêter plus, il faut un peu plus de capital à la<br /> banque ( pour rester simple ici ) car le prêt ne se retrouve pas forcément dans ses propre dépôts, et la contrainte de capital est individuelle, non collective.<br /> <br /> Seules les banques centrales peuvent user de "la planche à billet" et créer de la monnaie centrale Ex nihilo. En allant encore plus loin, on pourrait même dire que les banques commerciales ne<br /> créent pas de la monnaie, mais un erzatz de monnaie qui lui est substituable uniquement en période de boom.<br /> <br /> <br /> Sinon, j'apprécie l'initiative de présentation de I = S et S = I, un point de vue hétérodoxe est toujours rafraîchissant.<br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Merci, pour vos deux premiers paragraphes, vous soulevez un point très intéressant, je vous répondrais en essayant d'écrire un billet sur le sujet (d'ici une semaine j'espère), vous me direz<br /> alors si ma réponse vous convient ou non.<br /> <br /> <br /> <br />