Résumons ce que nous avons vu dans les précédents billets :
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les théories économiques n'envisagent pas la création monétaire de la même manière
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une des principales distinctions tourne autour du caractère endogène ou exogène de la création monétaire
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cette distinction conditionne la manière dont les économistes conçoivent l'inflation et la formation des taux d'intérêts notamment
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elle révèle même une différence plus fondamentale encore, concernant la prise en compte de côté demande globale de l'économie, comme on a pu le voir avec l'exemple de la contraction de la masse monétaire au début des années 30.
Nous allons maintenant parler d'une autre distinction fondamentale entre les théories économiques : le côté demande de monnaie. Nous allons voir comment ces différentes théories répondent à la question suivante : pourquoi les agents demandent de la monnaie ?
RST écrivait dans un commentaire qu'en ouvrant un manuel d'économie (en l'occurrence le macroéconomie de Blanchard et Cohen), il s'était posé la question : mais où est la monnaie ? La distinction entre les théories sur cette question apparaît clairement lorsqu'on s'intéresse à la demande de monnaie.
Commençons par la théorie néokeynésienne (la théorie monétaire enseignée aux étudiants et présentée dans les manuels d'économie).
Pourquoi les agents demandent de la monnaie dans la théorie néokeynésienne ? Voici les 3 motifs invoqués :
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Le motif de transaction : selon ce motif, les agents demandent de l'argent pour effectuer leurs transactions quotidiennes.
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Le motif de précaution : selon ce motif, les agents détiennent de la monnaie pour faire face à des besoins inattendus.
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Le motif de spéculation : sans entrer dans les détails, selon ce motif les agents demandent de la monnaie lorsqu'ils pensent que la détention de monnaie a un meilleur rendement que la détention de titres, comme des actions dans des entreprises ou des obligations d'Etat.
Attardons-nous sur ce troisième motif, car il va nous révéler la manière dont les néokeynésiens conçoivent la monnaie.
On peut tout d'abord s'en étonner car la monnaie a un rendement nul (si vous avez 1 euro et que vous le laissez dans votre poche vous n'aurez toujours qu'1 euro dans plusieurs années) voir très faible si vous la placez sur certains comptes courants, tandis qu'une action ou une obligation vous rapporte un intérêt. En fait il devient intéressant de détenir de la monnaie selon ce motif si les prix des actions et des autres titres baissent, dans ce cas mieux avoir de la monnaie au rendement nul ou quasi-nul qu'une action au rendement négatif.
Par conséquent, que nous dit la théorie néokeynésienne lorsque le prix des titres financiers augmente ? Que les agents vont demander moins de monnaie, car ils vont acheter plus de titres financiers. Et quand le prix des titres financiers diminue ? Que les agents vont demander plus de monnaie, car il est plus intéressant de détenir de la monnaie, dont la valeur ne bouge pas, que des titres dont la valeur baisse.
Par conséquent, lorsque le prix des titres financiers augmente, il y a une demande de monnaie plus faible. Et quand il diminue, la demande de monnaie est plus forte.
On peut s'étonner de cette conclusion. Car imaginons que nous décidions tous d'acheter des actions avec l'argent présent sur nos comptes courants, car leurs prix augmentent, la demande (le besoin) de monnaie diminuerait-elle pour autant ? Non, les acheteurs de titres auront chacun moins d'argent et plus de titres certes, mais les agents qui ont vendus ces actions eux auront d'avantage d'argent. L'argent n'a fait finalement que passer des mains de certaines personnes à celles d'autres. On ne comprend pas pourquoi la demande de monnaie aurait diminué ? La question semble même hors-sujet, l'achat d'un titre montre juste qu'un agent souhaite détenir un peu plus de monnaie et un autre un peu moins.. pas qu'il y a une demande de monnaie plus faible au niveau global.
Le truc, et c'est là le point crucial pour comprendre la théorie monétaire néokeynésienne, c'est que, selon cette théorie, la monnaie n'est pas cette chose qui permet de payer les salaires, de financer les investissements, etc. qu'on obtient en empruntant de l'argent à une banque et qu'il faut rembourser par la suite. Non, la monnaie est juste un actif financier comme un autre, qui a l'avantage d'être accepté par les commerçants et les entreprises pour régler ces achats. Tout ce passe comme si il y avait des "actions monnaie", comme il y a des actions Total ou BNP Paribas, l'avantage de ces actions monnaie étant que l'on peut régler nos achats avec et qu'elles ne peuvent pas perdre leur valeur (nominal) : 5 euros, c'est 5 euros, tandis qu'une action quelconque, un jour elle vaudra tant d'euros, le lendemain moins ou plus, et on ne paye pas ses courses avec.
Dès lors, si la monnaie n'est qu'un actif, au même titre que n'importe quelle action, eh bien les agents souhaiteront en détenir moins si cet actif, avec toutes ces propriétés, est moins intéressant que les autres et plus, s'il devient plus intéressant. Pour comprendre la théorie monétaire néokeynésienne, puis toutes les théories qui en ont découlées, il faut bien comprendre ce fait : pour ces théories la monnaie n'est qu'un actif comme un autre. Un actif demandé pour sa liquidité notamment et parce qu'il ne perd pas sa valeur nominal. Un actif vendu par la banque centrale. La rencontre de cette offre et de cette demande déterminant le taux d'intérêt.
Où est donc la monnaie (lorsqu'elle apparaît) ? Elle est juste dans les portefeuilles d'actifs que détiennent les différents agents économiques.
Avec ça en tête, vous pouvez comprendre le plus célèbre de tous les modèles sur la monnaie : le modèle IS-LM. Nous en parlerons bientôt, car il nous fournira une belle illustration de la manière dont les néokeynésiens conçoivent la monnaie. Mais avant nous verrons (après-demain j'espère) pourquoi les agents demandent de la monnaie dans les modèles postkeynésiens (et circuitistes). Et nous discuterons de ces deux théories (néokeynésienne et postkeynésienne).